Relation d'aide

La relation d’aide

De la pulsion à la désolation

Marshall Rosenberg qui est le père de la Communication non Violente ou Communication Consciente m’a expliqué un jour que le besoin d’embellir la vie de son prochain est présent chez la plupart d’entre nous.
Lorsque je ressens de la douleur chez mon prochain, c’est comme si cela pouvait être la mienne. Je ressens de l’impuissance, de la peur, de la colère et j’ai envie que ça s’arrête. Quelque chose de l’ordre d’une pulsion me pousse alors à donner à l’autre des solutions, des conseils, des explications, à vouloir pousser, tirer, soulager, sauver l’autre, afin de ressentir un apaisement et retrouver un bien-être intérieur.
Malheureusement, l’autre est rarement preneur de nos solutions. Il résiste, nous expliquons ; il fuit, nous le traquons ; il nous échappe. C’est alors que nous nous sentons victimes, du genre « Avec tout le temps que j’ai pris pour aider cette personne, chercher des stratégies pour elle, qu’elle refuse, tout cela me rend amer. »
Des pensées commencent à me torturer : « C’est vraiment un égoïste, un lâche. Il n’ose même pas me dire en face qu’il n’a pas le courage d’agir. Là je deviens un tantinet persécuteur.
Arrivé à ce point, celui qui donne de l’écoute est au sommet de la désolation. Il se sent plus seul que jamais, désorienté…jusqu’à la prochaine occasion !
Cela s’appelle le triangle infernal 1. Je veux sauver, 2. Je me sens victime, 3.Je persécute.

De la désolation à une écoute de guérison

Donc la première étape dans la relation d’aide commence par moi obligatoirement, par l’exploration de mon impuissance face à la vie, ma solitude, mes révoltes contre tout ce que je ne peux pas changer chez moi. Il y a un deuil à faire sur tout cela, ce qui me permettra d’émerger vers des rivages d’acceptation, de confiance en moi et en mes propres ressources, limitées certes ! Prendre la dimension de ma petitesse, cela a pour moi quelque chose d'ordre spirituel.
Quelle est ma part, la part de l'autre ? Quelles sont mes valeurs ? Comment assumer ma vulnérabilité ? Comment la transformer pour qu’elle devienne une force tranquille à mon service et au service de l’autre pour une relation plus authentique ? Ce travail est un excellent antidote au burn-out.
Le mot « aide » pourrait donner à penser qu'il y a un qui donne et l'autre qui reçoit. Pour ma part, je trouve que celui qui aide reçoit autant que celui qui est aidé: Les mots « accompagnant, écoutant, accoucheur d'âme, tripatouilleur de tripes à tripes » reflètent mieux la réalité de ce qui se passe.
C'est un peu comme un mineur qui cherche à suivre le filon où qu'il aille. Notre subconscient prend des chemins inattendus jusqu'à déboucher sur des prises de conscience suscitées par l'écoute. Les prises de conscience sont des trésors qui nous permettent de changer les scénarios à répétition qui minaient notre vie.
Le fait d'accompagner la personne écoutée dans le tréfonds de ses sentiments  suscite aussi des émotions chez l'écoutant. Il a appris à les gérer. Malgré tout, il se peut que, touché par un stimulus trop fort, il quitte l'écoute pure. Il est bon alors de le signaler à l'écouté et de lui demander s'il est d'accord d'entendre comment cela retentit chez moi. Lorsque l'écoutant a retrouvé ses marques, il peut reprendre l'écoute.
En somme, cette communication est dite phréatique car on accède au très-saint de la personne. Elle nous fait le cadeau de se montrer comme elle est, dans toute sa vulnérabilité. L'humilité de l'écoutant est fondamentale et est toujours à cultiver, ainsi que le respect de l'opinion de l'autre sans jugement.
Au final, c'est comme si on avait fait un long voyage avec des joies, des peurs, de l'impuissance, de la solitude, du désespoir, de la détresse, pour finalement atteindre le socle des entrailles de la personne. Là, dans le silence, se situe souvent la prise de conscience. Ensuite, la personne remonte avec deux sentiments contradictoires : d'un côté, un sentiment de tristesse de ne pas avoir su cela plus tôt dans la vie, de l'autre un sentiment de joie et de soulagement d'avoir enfin mis le doigt sur ce qui cloche. Il y a plus de clarté, cela ouvre des portes au changement.

Quelle est mon intention ?

La petite histoire que je vais vous raconter vous permettra de clarifier vos intentions, de voir le chemin parcouru et celui qu’il reste à faire dans vos motivations.
« A l’aube, une jeune fille admirait le lever du soleil en marchant sur la plage. Il y avait des milliers d’étoiles de mer que les courants avaient rejetés sur la grève. Elle en prenait une, l’observait, l’admirait, puis la rejetait à la mer. Sans se presser, elle continuait de rendre à l’océan une partie de ces orphelines, avec plaisir.
Un vieillard s’approcha et lui dit : « Ma pauvre fille, ce que tu fais ne sert à rien, il y en a tellement ! » La fille lui répondit : »C’est vrai, cela ne sert pas à grand-chose dans l’absolu. Par contre, celle que je tiens et que je rejette à la mer, pour celle-là, cela a toute son importance. »
Le vieillard reprit : « Et les autres qui restent sur la grève, comment vas-tu les sauver ? »

-N’avons-nous pas été parfois stimulés par les défis à relever dans notre relation à l’autre  et découragés, voire submergés par l’ampleur de la tâche ?-
« La jeune fille répondit : « Je suis une ancienne alcoolique. Si vous saviez combien j’aurais voulu sauver le monde, c’était mon crédo ! Je me suis épuisée et j’ai failli en mourir. Jusqu’au jour où j’ai entendu cette phrase : Tout le monde veut changer le monde mais personne ne veut commencer par soi-même. C’est la base de la prière des alcooliques anonymes : Mon Dieu donnes-moi la force de travailler à ce que je peux changer et la sagesse d’accepter ce sur quoi je n’ai pas prise.

La jeune fille poursuivit : « Pour moi, cela a été une révélation. Cette prise de conscience a débouché sur une question que je trouve fondamentale, à savoir :
Est-ce que la vie est un don ou un dû ?

Si c’est un don, je peux dire merci pour tout ce que j’ai vécu d’agréable dans la vie. Je peux aussi dire merci aux expériences malheureuses où j’ai appris quelque chose qui m’a fait grandir. Je peux aussi plus facilement accompagner mon prochain avec confiance, avec ma vulnérabilité, mes émotions et mon amour de la vie. Une forme de satiété m’accompagne et me donne une certaine sérénité.
Si l’anxiété ou la peur m’étreint je vais leur donner de l’écoute pour voir quels besoins ne sont pas satisfaits chez moi et de quelle manière je peux y remédier. Si je le fais pour moi, je pourrai offrir la même qualité d’écoute à mon prochain.

La mort n’est qu’une question de temps ! Les étoiles de mer sauvées mourront aussi…plus tard…différemment ! La seule certitude lorsqu’on aime c’est que l’on va être séparé immanquablement de ceux qu’on aime, soit par des séparations de tous ordres, soit par la mort.
C’est lorsqu’on n’a plus peur de la mort qu’on n’a plus peur de la vie.

La jeune fille continua : « Ceci suscite une question : Qu’est-ce que je fais en attendant ? 
Soit je célèbre la vie, soit je la maudis.
Ma réponse est : J’aime sans rien attendre en retour. Cela me donne la force de trembler avec courage et me relie au noyau de « beautés éphémères » présent en moi et dans l’univers. Je suis en paix avec ce que je ne peux pas changer et j’agis là où c’est possible. Bizarrement, cette quiétude est communicative.
Comprenez-vous, monsieur, que l’on n’a de pouvoir que sur soi-même, que de faire juste sa part représente une énorme satisfaction si on le fait sans vouloir changer le monde. Sinon, cela devient harassant puis insupportable. Nombreux sont morts, épuisés, à la tâche ! »
Marshall Rosenberg dit que c’est difficile d’être heureux si l’on ne fait pas quelque chose de gratuit pour son prochain.

L’histoire suivante est intéressante à ce sujet :
« Il y avait, en Afrique, un énorme incendie. Un petit colibri commença à prendre deux gouttes d’eau dans la rivière et les versait sur le feu, encore et encore. Un zèbre passant par là remarqua le manège.
« Eh colibri, tu crois que tu vas éteindre cet incendie avec tes misérables gouttes d’eau ? »
«  Je ne suis pas fou, bien sûr que je ne vais pas éteindre cet incendie » répond le colibri, « je désire juste faire ma part ».

Pour moi, cette histoire remet l’homme dans une plus juste dimension face à ce qui l’entoure et le dépasse. Si je suis au clair sur la nature de l’aide que je pourrai me permettre de recevoir à travers les épreuves de ma vie, je serai au clair aussi sur l’aide que je peux apporter aux autres.
Il m’arrive d’être répondant pour une ligne téléphonique de relation d’aide.
Une fois, une personne désespérée m’expliqua tout ce qui n’allait pas dans sa vie. ( C’est là que l’on voit que la vie n’est pas égale pour tous ) Elle me dit son désir de mettre fin à ses jours. Je l’avais tellement bien écoutée que la conviction «  que c’était ce qu’elle pouvait faire de mieux » m’a traversé de la tête aux pieds. J’étais tétanisé, convaincu qu’elle pouvait lire dans mes entrailles.
Après un bon moment de silence, comme si la personne avait pu s’écouter et toucher le fond de son propre désarroi, elle a commencé à émerger vers un état plus paisible.
Mes entrailles se relâchèrent et je ressentis de l’admiration face à la capacité que la plupart des humains ont de rebondir lorsqu’ils ont touché le socle de leur souffrance grâce à l’écoute.
Dans ce cas-là, heureusement, je n’avais rien dit, je ne pouvais rien dire tellement j’avais peur que la personne ne découvre mes pensées.

J’élève mon ignorance en vertu.

Notre savoir est souvent un obstacle à l’écoute et au silence. On a une idée sur tout, on compare des situations qui se ressemblent en espérant que si on les partage ce sera utile. C’est malheureusement rarement le cas.
Chaque personne a son propre ressenti. Ce qui est important c’est à quelles images la personne associe son ressenti et quelles émotions suscitent ces images. Chaque tête a ses idées, ses croyances héritées de bonheurs et de malheurs traversés au cours de l’existence. Plus on écoute plus on s’aperçoit de l’unicité, de la singularité de chaque individu.

J’ai offert mes services à cette ligne d’écoute téléphonique pour apprendre le silence. C’est le plus beau cadeau que l’on puisse offrir à celui qu’on écoute.

Le silence agit un peu comme une lampe de poche qui éclaire l’intérieur de l’écouté. Les questions « comment vous sentez-vous ?, De quoi avez-vous besoin ?... » et les silences permettent à la personne de descendre dans ses nappes phréatiques.

Souvent, elle va découvrir des choses qu’elle ne savait pas sur elle-même qui permettront le changement.
Voilà pourquoi j’ai appelé mon entreprise «  La Maison du Changement par l’Ecoute, MCE ».

Les gens parlent et ils sont les acteurs de leur changement, avec leurs solutions, leurs possibilités et à leur vitesse. Ils  font leur part. Dans ces conditions, l'écoute devient légère et vivante. Si le contenu de la souffrance me télescope, je peux m'écouter, me donner de l'empathie ou en demander. Je reviens alors à niveau dans la joie et la gratitude. Je peux savourer sans mélange le cadeau que l'autre m'a fait de me permettre de l'écouter.
Voilà quelques aspects qu'il me tenait à coeur de partager avec vous sur ce sujet, Chers Lecteurs.
C’est pas beau la vie ?!

Laurent Neury, Août 2011